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J’ai voulu en finir

TW : suicide.

Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes de 15 à 24 ans. Les étudiants, particulièrement touchés, sont les premiers à y penser ou passer à l’acte. Il faut dire que la fragilité psychologique des jeunes s’accentue avec le passage dans le supérieur. Déprime, stress, fatigue physique et émotionnelle, autant de symptômes inquiétants qui peuvent réveiller des idées noires. Et si avec le contexte actuel de pandémie mondiale de plus en plus d’étudiants voient le suicide comme dernière issue, cette thématique occupe de plus en plus l’espace social. Aujourd’hui, j’ai souhaité raconter mon expérience, et comment je suis m’en suis sortie.

« Surtout si ça ne va pas, parlez-en »


2019. Je suis en deuxième année de classe préparatoire littéraire. Si ma première année s’est bien passée, je commence à ressentir la pression des concours de fin d’année. Nous sommes en novembre, et je ne vais pas bien du tout.

La période de novembre est bien connue des étudiants de prépa. « Le creux de novembre » est fatal pour ceux qui préparent des concours : les jours raccourcissent, les températures baissent, les concours blancs s’enchaînent et la fatigue physique prend le dessus sur la fatigue mentale. Le moral est au plus bas.

Les professeurs, préparés à ce « creux » avertissent les élèves. « Surtout, si ça ne va pas, parlez-en. Nous trouverons des solutions, des aménagements, mais ne restez pas seuls comme ça. » Si nous autres, jeunes étudiants, avions rigolé au moment de cette intervention en pensant que « Non mais vous vous rendez compte qu’ils savent que les étudiants pensent à se flinguer », cela m’a beaucoup moins fait rire dans les semaines qui ont suivi.


« Qu’est-ce qui m’en empêche ? »


Depuis toute petite j’ai une vision très négative du suicide. Au-delà de ce en quoi il consiste (se donner la mort), j’ai toujours vu le suicide comme une solution de lâche. Pour moi, c’est une façon de fuir ses problèmes, ou d’appeler à l’aide lorsque l’on n’a pas assez de volonté pour se débrouiller seule. Si adolescente je refusais l’idée même de penser au suicide, alors que le « creux de novembre » me frappe de plein fouet, je commence à y penser.


Au départ, c’est sur le ton de l’humour. « C’est vraiment dur la prépa, ça me donne envie de me flinguer sur la copie de mon concours blanc. » Puis je commence à y penser en dehors des cours, sur les trajets entre le lycée et chez moi. Jusqu’au jour où me vient la pensée la plus tragique : « Mais après tout, qu’est-ce qui m’en empêche ? »


Chaque jour, en allant en cours ou en rentrant chez moi, je passe à côté d’un arrêt de tram. Et si depuis mes années lycée je suis effrayée à l’idée d’un jour me retrouver sur les rails à l’approche d’un tram, je me demande un jour ce qui m’empêche d’y courir.


Cette idée me vient alors que j’ai l’impression d’être dans un état second. Je ne réfléchis plus rationnellement, je suis enfermée dans le temps présent sans comprendre ce qui ne va pas, comme enfermée dans une sorte de bulle. Chaque jour je me réveille tôt, vais en cours dans la nuit, appréhende le moment de rendu des copies car je sais que je risque de fondre en larmes devant toute la classe, continue mes cours puis rentre encore une fois dans la nuit. Je rentre épuisée, aussi bien physiquement que mentalement. Je ne sais plus comment faire pour me sortir de cette fatigue. Mes proches voient que je ne vais pas bien, mais souhaitant régler mes problèmes seule je ne leur demande rien.

Et chaque jour je marche à côté des rails du tram, enfermée dans ma bulle de fatigue et de détresse émotionnelle.

Jusqu’au jour où je veux en finir. « Mais après tout, qu’est-ce qui m’en empêche ? »


Lorsque la bulle éclate


C’est à ce moment-là que je comprends pourquoi le suicide n’est pas une fuite, mais l’incarnation du besoin de s’arrêter. De prendre une pause, loin de tout ce qui fait souffrir. À ce moment-là, tout ce qui nous entoure n’a plus d’importance, ce qui compte c’est de s’arrêter. De tout laisser à d’autres, de se détacher de tout ce qui retient. C’est une fuite, mais qui semble paisible.

Ce jour-là je comprends. Ce jour-là, ma bulle éclate.


Car au-delà de comprendre que j’ai besoin de m’arrêter, je comprends surtout que ma bulle est temporaire. Aujourd’hui j’ai besoin de faire une pause, mais peut-être que demain ma fatigue partira ? Je commence alors à reporter au lendemain mes idées noires. Je me dis que je peux bien essayer de vivre encore un jour de plus, et que si vraiment ça ne va pas, j’appellerais à l’aide. Je vis comme ça ma fin d’année, à procrastiner mon suicide. Et finalement, je sors vivante de mon année. Je suis épuisée, affaiblie, à fleur de peau, mais vivante.


Et maintenant ?


Aujourd’hui, avec le recul, je me dis que je n’aurais plus jamais ces idées noires. Désormais, je sais que j’ai le droit de demander de l’aide, ou de seulement parler à mes proches en cas de détresse. Ils ne comprendront peut-être pas, mais ils pourront toujours me prendre dans leurs bras quand j’en aurais besoin.

Aujourd’hui, je sais que ma bulle me suit toujours, mais j’ai appris à la dominer, à la repousser lorsqu’elle devient trop envahissante. Je l’ai domptée.


Aujourd’hui, je comprends l’état des étudiants qui mettent fin à leur jour. A l’heure d’une pandémie mondiale, l’avenir est plus qu’incertain. Comment alors se motiver à vivre un jour de plus, quand demain n’est pas sûr ? Trois étudiants se sont déjà jetés par la fenêtre de leur chambre, combien en faut-il pour que la société prenne conscience que les étudiants sont épuisés, en temps de pandémie comme en temps normal ? Combien de sacrifiés avant que les facs ne rouvrent ?


Aujourd’hui, je n’ai qu’un souhait : que tous les étudiants réussissent à dompter leur bulle et à en sortir. J’espère que les étudiants qui en ont le plus besoin trouveront le courage d’appeler à l’aide avant d’arriver au point de non-retour. Que tous les étudiants arriveront un jour à la conclusion « Je suis en vie, et surtout je suis vivant.e. »


Photos : tous droits réservés à Maggie Zhan / Pexels.

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